mercredi 19 janvier 2011

Les casse-tête burrs (2)

Nous avons vu dans le message précédent un peu de théorie sur les casse-tête burrs, et comment les caractériser par leur nombre de solutions, leur nombre d'assemblages (positionnement des pièces a priori correct, mais pas forcément possible à assembler), et leur niveau (nombre de mouvements à faire avant de pouvoir retirer les premières pièces).

A présent, voici quelques uns des casse-tête que vous aurez le loisir de manipuler à la rencontre du 9 avril 2011.

Si vous n'avez jamais manipulé de burrs, je recommande vivement de débuter par le Philippe Dubois.
Il s'agit d'une croix à 6 pièces assez simple. 2 assemblages, 1 solution, niveau 6.



Avec celui-ci, il est plus intéressant de partir des pièces détachées et de tenter de monter le casse-tête, plutôt que l'inverse.
Une fois familiarisé avec la façon dont les pièces doivent être disposées pour former une croix, la résolution se fait en deux étapes.

Premièrement, il faut trouver la disposition exacte des pièces. En observant les découpes de celles-ci et en quelques essais, on aboutit aux deux assemblages possibles, mais l'insersion de la dernière pièce n'est pas évidente.
C'est la deuxième étape : trouver les 6 mouvements nécessaires pour insérer la dernière pièce. Ce qui n'est possible qu'en partant du bon assemblage. Pour cela, il faut imaginer que toutes les pièces sont en place, et se demander comment il serait possible de faire le démontage. Quelques mouvements semblent possibles. Si on est sur le mauvais assemblage, aucun de ces mouvements ne mène à quoi que ce soit d'utile. Sur le bon assemblage, les mouvements possibles se succèdent jusqu'à ce qu'une pièce ait un passage assez large pour sortir. Attention à ne pas faire de mouvements qui seraient impossibles si toutes les pièces étaient montées.
Comme le casse-tête est de niveau 6, la séquence comportera 6 mouvements.

Sachant que cette pièce est la première à partir, on remonte alors le casse-tête en conservant la même disposition, mais en omettant cette pièce. Ensuite, on rejoue les 6 mouvements de démontage jusqu'au moment où cette pièce devrait partir, ce qui permet d'ouvrir le passage permettant de l'insérer. On la met en place, puis on rétablit la position des autres pièces en rejouant les 6 mouvements dans l'autre sens.

Certains burrs mettent l'accent sur la première étape. C'est le cas de la croix de Maurice Vigouroux, à 18 pièces.


Elle est de niveau 1. Le démontage est très facile. Il suffit de retirer les pièces. Il faut juste en écarter certaines du chemin à certains moments. Le remontage, en revanche, nécessite une bonne dose de réflexion.
Il faut se baser sur les différences de couleur entre les parties des pièces qui sont restées à la lumière et les autres. Sans ces indices, il est probable que le casse-tête soit bien trop difficile pour être résolu.
Il s'agit ensuite d'un jeu de déduction, en procédant par essais : Si cette pièce vient ici, alors je dois mettre telle autre là, et plus aucune pièce ne peut venir dans cette position, donc cette hypothèse n'est pas la bonne, donc c'est cette autre pièce qui occupe la première place.
L'esprit à adopter est un peu le même que pour résoudre un Sudoku. Il m'a tout de même fallu une petite heure pour trouver ainsi la position des 18 pièces.

D'autres burrs sont essentiellement des problèmes de démontage. Souvent parce que le montage est humainement impossible. Par exemple le "3-in-a-row", inventé tout récemment par Alfons Eyckmans.


1 solution,
452 assemblages, niveau 17.
Il m'a fallu 25 minutes pour le démonter. J'ai ensuite entré les pièces dans le logiciel Burrtools et lancé l'analyse. Quand j'ai vu qu'il y avait 1 solution pour 452 assemblages, je n'ai pas essayé de trouver lequel était le bon !

On aboutit ainsi à des casse-tête dont la résolution est très différente. Le premier rappelle plutôt le Sudoku : on recoupe les hypothèses pour déduire le bon élément à mettre en place. Le second est plutôt une sorte de labyrinthe : on explore divers déplacements qui peuvent mener à des cul-de-sac ou à des bifurcations, jusqu'à trouver le chemin qui mène à la sortie. Ce sont ceux que je préfère.

Notez que les chiffres sont parfois trompeurs. Voici Decemburr. Un casse-tête créé par Goh Pit Khiam et fabriqué par Brian Young.


1 solution, 5486 assemblages, niveau 13.
On pourrait donc croire qu'il est moyennement difficile à démonter (13 mouvements), et strictement impossible à monter (lequel des 5486 assemblages est le bon ?). En fait, c'est l'exception qui confirme la règle. D'abord, les 13 mouvements sont tous forcés. A aucun moment on n'a le choix entre deux mouvements possibles. C'est comme un labyrinthe de cathédrale : il n'y a qu'un seul chemin. Il n'est donc guère plus difficile à démonter que la croix de Vigouroux, qui est pourtant de niveau 1.
Quant à l'assemblage, s'il est très difficile, il n'est pas impossible, car en examinant les pièces et en réflechissant à la façon dont elles se verouillent les unes les autres, il est possible de déduire la position de tout une série de pièces : les seules qui pourraient bouger, quel que soit l'assemblage. Ainsi, on élimine d'office 99 % des assemblages possibles.
C'est le principal intérêt de ce casse-tête : on peut faire beaucoup de déductions dès le départ en réfléchissant bien. Malheureusement, la suite n'est guère réjouissante : il reste une centaines d'assemblages possibles, et il faut passer des heures à les essayer les uns après les autres.
A mon sens, ce n'est vraiment pas un casse-tête réussi.

On voit là que parmi tous ces casse-tête, certains, bien que d'aspect similaire, sont bien plus intéressants que d'autres. Et malheureusement, rares sont les créateurs qui se soucient vraiment de la qualité des défis intellectuels qu'ils proposent.
Dans la famille des burrs, quand on voit le plan des modèles publiés sur le site d'Ishino et leur nombre faramineux d'assemblages, la possibilité pour le joueur de trouver la solution à partir des pièces détachées devient une exception.

Il y a toutefois parmi ces casse-tête des exemples extrêmes. Lorsque le nombre de mouvements dépasse 50 et que la séquence reste assez équilibrée en termes de possibilités offertes au joueur, on peut tomber sur des casse-tête dont le démontage devient une véritable aventure.



Ceci est le Condor's Peeper de Jack Krijnen. Basé sur une création d'Alfons Eyckmans et fabriqué par Brian Young, il est de niveau 62-4-21. Soit un total de 87 mouvements pour retirer les trois premières pièces. Pour donner une idée, il m'a fallu plus de trois heures pour le démonter.
Loin d'être une infernale énumération de possibilités que l'on passe en revue les unes après les autres, la séquence de démontage se divise en plusieurs étapes progressives, et plus on manipule le casse-tête, plus on se familiarise avec la façon de se déplacer de certaines pièces et avec les petites séquences qui permettent de passer d'une configuration à une autre.
La progression fait ainsi appel à la déduction et des mouvements que l'on découvre à certains moments peuvent être réutilisés par la suite.
Cela donne une agréable impression de maîtriser de mieux en mieux l'objet au fur et à mesure que l'on progresse, et de pouvoir revenir sans trop de peine au point de départ lorsqu'on est perdus.

Le remontage, en revanche, n'est pas facile du tout. Après avoir passé trois heures à démonter l'ensemble, on retrouve sans trop de peine l'assemblage correct en se rappelant de la disposition des pièces principales, mais l'ordre d'insersion n'est pas du tout évident.

C'est l'un des rares casse-tête à m'avoir procuré des heures de plaisir intellectuel, tout en manipulant un bel objet. Dommage qu'il ne soit pas conçu pour être directement assemblé, en raison de ses 29466 faux assemblages qui rendent l'exploit illusoire.

En prenant contact avec le concepteur, Jack Krijnen, j'ai appris qu'il existait un autre modèle semblable, le Phoenix. Les deux modèles de base, le Condor et le Phoenix, ont été conçus par Alfons Eyckmans, puis de nombreuses variantes ont été publiées, par Jack et Alfons, avec des séquences de démontage plus ou moins longues. La seule à avoir été commercialisée étant le Condor's Peeper, niveau 62, que nous venons de voir.

En fabriquant des maquettes grâce aux plans publiés sur internet, j'ai pu découvrir que les variantes du Phoenix étaient tout aussi passionnantes à démonter. Après avoir hésité entre les deux variantes aux séquences les plus longues, le Burrly Sane for Extreme Puzzlers de Jack Krijnen, niveau 152, et le Tiros d'Alfons Eyckmans, niveau 150, j'ai finalement choisi la variante Tiros. Maurice Vigouroux, bien qu'il soit à la retraite, a accepté de m'en fabriquer un exemplaire. J'ai modifié sur mes plans la structure extérieure des pièces pour qu'il n'y ait qu'un seul assemblage possible qui respecte l'alignement des chanfreins taillés sur les angles. Cela devrait rendre le casse-tête humainement montable, sans modifier la séquence de démontage.

Le résultat : un casse-tête ultime, captivant, à reserver aux puzzlistes les plus aguerris. Abordable sous l'angle du montage comme du démontage, capable de tenir son propriétaire en haleine des heures et des heures. En comptant le temps passé à étudier les différentes variantes, j'estime qu'il m'a fallu environ 20 heures pour le défaire ! C'est d'ailleurs une des seules variantes du Phoenix que j'ai réussi à démonter.

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