mercredi 19 janvier 2011

Les casse-tête burrs (1)

Aujourd'hui, je vais vous parler de mes casse-tête préférés, les burrs. Mais d'abord, qu'est-ce qu'un burr ? Un dictionnaire nous apprend que l'anglais burr signifie bardane, une plante aux fruits hérissés de piquants. Peut-être est-ce parce que ces casse-tête sont parfois hérissés de pièces dans tous les sens qu'ils sont surnommés ainsi.
En français, on les appelle les "casse-tête chinois", et les plus courants sont surnommés "croix de charpentier". Ils sont en effet généralement fabriqués en bois, bien qu'on en trouve aussi en plastique ou en métal.

Voici une croix de charpentier classique, créée par Peter Marineau.


Elle comporte six pièces étroitement entrecroisées, qu'il faut séparer, ou au contraire rassembler.


Si on se limite aux pièces comportant des découpes cubiques, qui se croisent à angle droit, on obtient déjà une grande variété de formes.





Mais ce qui est surprenant, c'est l'immensité des défis possibles que l'on peut poser ne serait-ce qu'avec une seule forme de casse-tête. Avec une croix de charpentier à six pièces, comme celle illustrée plus haut, il est possible d'utiliser des pièces dont les découpes internes sont différentes. Bill Cutler a montré qu'il existe au total six milliards de possibilités, chacune constituant un casse-tête différent.
Ainsi, si vous trouvez une croix de charpentier dans un magasin, il est impossible au premier coup d'oeil de savoir de laquelle il s'agit, ni si elle est facile ou difficile...

On trouve couramment des croix très simples, munies d'une pièce pleine qui se retire du premier coup. 10 minutes suffisent pour les résoudre. Mais il en existe de beaucoup plus difficiles. Rien ne les distingue des autres vues de l'extérieur. Leur forme est exactement la même.
Certaines ont des pièces imbriquées de façon si complexe qu'il faut réaliser 10 mouvements avant de pouvoir en dégager une seule de l'ensemble. Parvenir à les assembler sans avoir auparavant observé le démontage peut prendre plus d'une heure... si on y arrive.

Afin de s'y retrouver, on caractérise ces casse-tête par leur nombre de solutions, leur nombre d'assemblages, et leur nombre de mouvements.

Ainsi, la croix de Peter Marineau photographiée plus haut possède une solution, 10 assemblages, et 9 mouvements. Cela signifie qu'il existe une seule façon de la monter (1 solution), mais que les pièces pourraient former la structure finale de 10 façons différentes (10 assemblages). Les neuf autres façons ne sont tout simplement pas démontables.
Lorsqu'on cherche à assembler les pièces ainsi, on parvient généralement à en placer 5, et on peut voir que la sixième a encore assez de place pour tenir, sauf qu'il est impossible de l'insérer sans retirer d'abord les autres. Si l'assemblage fait partie des neuf assemblages "non démontables", alors on aura beau permuter les pièces, on ne pourra jamais insérer la dernière. La solution est de disposer les pièces autrement.

Le nombre de mouvements, appelé aussi "niveau", est le nombre de mouvements nécessaires pour retirer la première pièce. On indique généralement une suite de nombres donnant successivement le nombre de mouvements nécessaires pour retirer la première, puis le nombre de mouvements nécessaires pour retirer la seconde, etc. On s'arrête lorsque les pièces partent toutes seules et que les nombres de mouvements valent tous 1.
Ainsi, cette croix est dite de niveau 9.3, car il faut exécuter 9 mouvements pour retirer une pièce, 3 mouvements pour retirer la suivante, et 1 mouvement pour chacune des quatre pièces restantes.

En créant un casse-tête à partir de sa solution, avec les pièces conçues déjà imbriquées, on parvient très vite à des résultats ingérables.



Cette croix a 18 pièces, conçue par Brian Young, est appelée Coming of Age mkII. Elle est vendue toute assemblée, et le défi est de la démonter. Ce n'est guère simple, car elle est de niveau 19, et il s'agit de trouver les 19 bons mouvements parmi tous ceux qui sont possibles. Sans compter que les pièces suivantes ne sont pas forcément plus simples à retirer que la première. Il faut bien trois heures pour tout démonter.

Elle a 7621 solutions différentes. Il devrait donc être facile de la remonter d'une façon ou d'une autre. Eh bien détrompez-vous, car il se trouve qu'elle a 880338023 assemblages !
C'est-à-dire qu'il vous faudra essayer en moyenne 115000 assemblages pour avoir une chance qu'il y en ait 1, parmi eux, qui soit réellement montable. Si vous êtres très doués et que vous trouvez un assemblage toutes les heures, en y travaillant 24 heures sur 24, il vous faudra donc en moyenne 13 ans pour trouver l'une des 7000 solutions.

Autrement dit, ce casse-tête n'existe que pour être démonté. Il faut obligatoirement suivre la solution pour le remonter.

Ces chiffres ont été obtenus grâce au logiciel gratuit Burrtools, créé par Andreas Röver. Il permet de générer la solution de presque n'importe quel casse-tête utilisant des mouvements séquenciels, et de montrer à l'écran la séquence de démontage animée.



La seule chose qu'il ne sait pas faire, c'est faire pivoter les pièces. Il ne trouve que les solutions où les pièces se déplacent sans tourner.

L'usage de ce logiciel a grandement aidé à la création de casse-tête burr, et aujourd'hui, on trouve publiés sur le site web de Keiichiro Ishino des milliers de plans envoyés chaque jour par des concepteurs du monde entier.

La plupart n'ont jamais été fabriqués, et les casse-tête sont souvent insolubles pour des êtres humains normalement constitués. Il semble que le site d'Ishino serve avant tout à déposer ses créations, afin de prouver qu'on en est l'auteur.
On peut toutefois en fouillant un peu y trouver de petites merveilles, que vous aurez le plaisir de découvrir à l'association de la Triche le 9 avril... Mais ce sera l'objet d'un autre article.

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